Judee Sill : L’incroyable destin (tragique)
Judee Sill : une vie digne d’un roman d’Émile Zola ou Victor Hugo
Judith Lynne Sill nait en 1944 à Studio City, Californie. Elle apprend le piano dans un bar appartenant à son père.
Celui-ci meurt d’une pneumonie lorsqu’elle a 8 ans. Sa mère se remarie mais les rapports entre la jeune fille, celle-ci et son nouveau mari sont très violents si bien que sa mère décide de la transférer dans une école privée. Elle y fréquente des délinquants et commet, avec un complice masculin, une série de braquages. Suite à cela, elle est envoyée en pension où elle devient organiste d’église et apprend la musique gospel.
Après la mort de sa mère entre 1963 et 1965, elle commence à se droguer et rejoint un trio de jazz. Son addiction l’oblige à se prostituer, monter des arnaques qui la conduisent logiquement en prison. Pendant son incarcération elle apprend que son frère meurt. A sa sortie elle se marie au pianiste Robert Maurice Harris dit Bob Harris et décide de se mettre à la composition de chanson.
Elle rencontre Graham Nash et David Crosby avec qui elle part en tournée. Le premier produit son premier single Jesus Was A Cross Maker (voir ci-dessous). Elle vend sa chanson Lady-O (la version live et en solo en écoute plus bas) au groupe The Turtles. En 1971 sort son premier album, Judee Sill sur le label de David Geffen (grand magnat de la musique puis du cinéma), Asylum Records.
Ni cet album, ni le suivant Heart Food ne connaîtront le succès. Ces échecs la font peu à peu abandonné la musique. Elle meurt d’une overdose.
Une vie qu’aucun scénariste ne serait capable d’inventer, trop sombre, trop tragique pour sonner vrai.
L’indispensable réhabilitation de cette artiste tombée dans l’oubli.
Le 10 août 2018 est sorti Songs Of Rapture And Redemption : Rarities & Live qui regroupe des versions inédites, majoritairement en solo, des titres des deux albums officiels.
Cet album vaut surtout pour les titres extraits d’un concert de la musicienne au Boston Music Hall. Ces enregistrements révèlent une personnalité attachante notamment grâce à la présentation au public de ces chansons, gage précieux de son humour. Au début de Jesus Was A Cross Maker (en écoute plus bas) elle confie que l’écriture musicale l’a sauvée (au moins temporairement). Sa fragilité transparait dans un trémolo dans sa voix lorsqu’elle donne le titre du morceau juste après avoir déclaré que c’était écrire cette chanson ou le suicide.
Le contexte mentionné permet de comprendre sa poésie et notamment l’ambiguïté des rapports qu’elle a entretenu avec la religion. Car on peut légitimement se demander comment elle a pu garder sa foi (cf pochette de son premier album où elle porte une croix bien en évidence) après tout ce qu’elle a enduré? Pourtant son œuvre baigne de cette amour pour Dieu.
Ainsi Enchanted Sky Machines évoque la rédemption, sujet hautement religieux : des machines volantes viendront chercher, avant la fin du monde, les gens méritants pour ensuite les ramener à la fin de l’holocauste. Elle s’inclut dans les épargnés et confie son impatience d’être sauvée. Ce titre se révèle ainsi être un touchant appel à l’aide.
Rapport contradictoire également avec les hommes, elles n’a pas dû être épargnée par eux (Archetypal Man, Jesus Was A Cross Maker). Ses aspirations romantiques (The Kiss, Down Where The Valleys Are Low, Lady O) se heurtent à la dure réalité des échecs amoureux (Jesus…est inspiré de sa relation avec l’auteur/compositeur JD Souther. Elle l’insulte copieusement dans le live ci-dessous).
Songs Of Rapture And Redemption : Rarities & Live est la lucarne idéale pour aborder les compositions de Judee Sill et son subtil bouquet gospel/folk/blues/country, soul (The Lamb Run Away With The Crown), rythm and blues (Down Where The Valleys Are Low).
On espère à l’instar de Sixto Rodriguez aka Sugarman que cette artiste connaisse un jour le succès qu’elle mérite. Je plaide pour la reconnaissance qu’elle n’a malheureusement pas obtenu de son vivant. Incomprise à son époque, elle a par la suite inspiré de nombreux auteur(e)s/compositeurs(trices) (dont Liz Phair). Sa voix, une version moins édulcorée de Karen Carpenter (notamment sur The Kiss) ainsi que sa poésie noire est un bel objet d’orfèvre.
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