Be Kind Rewind – Bilan musical de l’année 2017 + Playlist
Best of 2017
Voici un palmarès hautement subjectif, hautement symbolique mais qui je l’espère sera hautement jouissif.
Meilleur sample : Piero Umiliani – Ricordanti
C’est l’occasion de porter un coup de projecteur sur l’immense carrière du compositeur italien Piero Umiliani : 90 musiques de films, 40 albums, 35 thèmes télés. Il a grandement participé à instaurer un style de musiques de film jazzy, teinté de psychédélisme, typiques des années 60/70. Il serait donc réducteur de se souvenir uniquement de lui comme l’auteur de Mah Na Mah Na, composé à l’origine pour le documentaire Sverige, Inferno e Paradiso, devenu mondialement connu grâce au Muppet Show et par la suite à Benny Hill.
Ricordandoti est extrait de la bande originale du film La Ragazza Dalla Pelle Di Luna et reprend le thème principal que l’on retrouve tout au long de l’album décliné à l’orgue hammond, à la guitare jazz pour évoquer l’île des Seychelles.
Belle trouvaille du rappeur anglais Loyle Carner et de son producteur Kristian Revelle qu’ils ont utilisé sur Ain’t Nothing Changed (titre 15 de la playlist), titre phare du prometteur premier album Yesterday’s Gone. Choix judicieux qui met en valeur le superbe jeu au saxophone de Gianni Biasso. La mélancolie du souvenir de cette fille à la peau de lune rejoint la mélancolie du rappeur quant à ces jeunes années.
Meilleur espoir 2017 : Maya Huyana
Découverte grâce à l’émission EZH anciennement Jazz Standard, la californienne Maya Huyana est la belle surprise de cette année. Comme Anderson.Paak, elle porte la double casquette de chanteuse Neo Soul et de rappeuse influencée par Bahamadia, Jean Grae. On lui souhaite la même carrière. Avec le producteur Goldigga, elle forme une paire redoutable. Sur Rebirth, ils ont créée l’atmosphère adaptée à la personnalité de la chanteuse : aérée, ensoleillée à l’image de Mayah’s Jam (plage 11 de la playlist) dont on a du mal à se lasser.
Retrouvez-là sur la playlist Divines Divas 2
Mention honorable :
La femme orchestre Laura Misch nous a épaté avec son EP Playground sur lequel elle fabrique tout : boîte à rythme, effets, mélodie de saxophone, chant et même la pochette de l’album à la peinture acrylique. Pas de doute, pour la londonienne la musique est une aire de jeux : elle expérimente, triture, démonte, s’inspire des autres pour pouvoir créer sa propre création qu’elle peut exhiber fièrement.
Meilleur émission : EZH (ex-Jazz Standard) de Tina Edwards
La transition est toute trouvée pour vous inviter à écouter ce podcast mensuel disponible sur Mixcloud : 1h de nouveautés Jazz, Rap, Neo-Soul, Beats etc… Avec un accent mis sur la nouvelle scène jazz mondiale. Cette émission s’est imposée comme un rendez-vous incontournable dans la mesure où elle réunit les derniers titres de la crème des artistes gravitant dans ces sphères jazzy : Jordan Rakeï, Tony Allen, Moonchild (track 9). Mais elle permet également de découvrir une multitude de talents tels que la saxophoniste Nubya Garcia, le duo sax/batterie Bink And Moses, celui de Blue Lab Beats ou bien encore la jeune londonienne Elisa Imperilee.
Les interventions pertinentes et l’adorable accent de Tina Edwards ajoutent énormément de bagout au show. C’est surtout une dénicheuse inspirée. Ce n’est donc pas étonnant qu’elle ait été recrutée par Gilles Peterson himself dans son réseau et pour sa webradio Worldwide FM.
Meilleur featuring : Karen O dans Milano de Daniele Luppi
Le compositeur italien Daniele Luppi, épaulé par les musiciens de Parquet Courts, avait pour ambition de retranscrire l’ambiance du Milan des années 80 en pleine mutation avec concomitamment l’émergence d’une jeunesse en mal d’être entendu et la gentrification rapide du vieux Milan.
Afin d’incarner la scène punk milanaise, il a fait appel à la chanteuse/leader du groupe Yeah Yeah Yeahs, Karen O. Sur le refrain de Pretty Prizes, elle interprète une prédatrice qui séduit un dandy milanais pour lui tendre un piège, filmer ses ébats pour le faire chanter en transmettant cette vidéo à ces enfants.
Beware of cats that follow you home
Of pretty prizes wearing disguises
Give her some milk, she’ll purr as she bites
Through the bone
Que ce soit sur Talisa, Flush ou Golden Ones, la chanteuse est si sexy qu’elle pourrait réveiller la libido d’un mort.
Meilleur album introspectif : Julien Baker – Turn out the lights
L’album commence par la fin, une fin instrumentale digne d’un Max Richter qui constitue une belle introduction à Appointments. C’est la fin d’une relation et le début de la culpabilité. Du vide et de la solitude. Ce repli sur soi amorcé dans Over se poursuit sur Turn Out The Lights. Et sur Shadowboxing où elle se bat contre des fantômes. Les interventions de l’entourage sont vaines. Le processus d’auto-destruction est aidé par la prise de substances nocives. La multiplication des images pour qualifier son mal être rend Turn Out The Lights si poignant. C’est une des raisons pour lesquelles on s’attache à Julien Baker, sa façon si particulière de confier sa fragilité, ce moment de flottement où elle se sent clouée à son matelas comme un papillon épinglé par l’entomologiste (« Pinned to the mattress like an insect to styrofoam » – Televangelist). Elle voudrait être un électricien pour réparer son cerveau (Happy To Be Here) :
If I could do what I want
I would become an electrician
I’d climb inside my ears
And I would rearrange the wires in my brain
Julien Baker nous troublait jusque là par son sens aigu de la mélodie de guitare, elle signe son plus beau titre, Hurt Less (morceau 24), au piano. Dans lequel elle amorce un début de convalescence, trouve une raison de vivre, une branche pour s’accrocher, un ami à qui parler ou quelqu’un à qui penser :
This year I’ve started wearing safety belts
When I’m driving
Because when I’m with you
I don’t have to think about myself
And it hurts less
Titre de l’année : Benjamin Clementine – Phantom Of Aleppoville
Phantom of Aleppoville (chanson n°30) s’impose comme la parfaite combinaison entre un texte sombre et poétique et une mise en musique grandiose.
Il nous fait passer par un kaléidoscope d’émotions inouï : clavecin, cordes et batterie nous prennent à la gorge, puis, par les roulements de tambours militaires vient le cauchemar illustré par les chuchotements des harceleurs (we will let you die) et les cris désespérés de Benjamin Clementine (oh leave me!, oh leave me!).
Enfin, arrive le moment de la poésie et du pardon. L’insoluble question reste en suspend : pourquoi le harcèlement existe et pourquoi est-ce qu’il perdure à travers les siècles, dans tous les pays et civilisations?
Pour en savoir plus, je vous propose de lire l’article dédié ici.
Ben est un alien (Jupiter). Des voix trafiquées et des sons de vaisseau spatial peuplent Farewell Sonata, Better Sorry than Safe, God Save The Jungle. Il n’est pas comme les autres, sa musique baroque n’est pas formatée pour passer à la radio (sauf sur BB6).
Ben est un alien. Un étranger apatride qui erre de port en port (By the ports of Europe), de centre d’accueil en centre d’accueil (Welcome to the jungle). Dans un contexte où la question du traitement des migrants est centrale.
I Tell A Fly est une œuvre marquante où la personnalité de l’artiste séduit autant par sa folie, son piano fougueux et virevoltant.
Meilleure révélation live : This Is The Kit – Pitchfork Paris (jour 1)
En ce 2 novembre 2017, nous étions venus pour voir The National qui les ont gentiment invité à tourner avec eux mais la surprise de la soirée fut This Is The Kit (track 22) et sa leader Kate Bates (à ne surtout pas confondre avec Kathy Bates!). Ils nous ont offert un beau moment de grâce et de délicatesse. Avec sa formation à géométrie variable, le groupe anglais a su charmé le public de la Grand Halle de la Villette.
Be Kind Rewind – La playlist du meilleur de 2017
Mais alors, quel est donc mon album préféré de cette année? L’année dernière je m’étais honteusement défilé mais cette année je sais. Un album que ne vous trouvez dans un aucun autre classement, top 100 et autres best of 2017. Pourtant, il m’a procuré de l’exaltation de bout en bout, m’a agréablement surpris. C’est…c’est…vous le saurez bientôt.
En attendant, PRESS PLAY!
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