Quand le roi du beat Pete Rock sample le roi de l’Afrobeat Fela
Un sampleur/samplé de haut-vol vous attend avec à ma gauche Pete Rock un des piliers du beatmaking et à ma droite Fela Anikulapo Kuti instigateur d’un genre musical qui a conquis le monde entier, l’Afrobeat.
Le titre sampleur : INI – Grown Rap Sport produit par Pete Rock
Un seul et unique album suffira au groupe INI (Rob O, Grap Luva, Ras G, Marco Polo et DJ Boodakhan) pour entrer dans la postérité. Réalisé en 1995, la sortie officielle de Center of attention a été retardée pendant plusieurs années en raison d’un conflit entre Pete Rock et sa maison de disque de l’époque : Elektra. Attirés par les singles très alléchants, les aficionados auront réussi à se le procurer sous le manteau. Il paraîtra officiellement en 2003 sur BBE Records sans la permission du producteur (selon ses dires).
Être au centre de l’attention, c’est un des fils rouges de l’album. Un exercice courant dans les lyrics de rap : faire valoir son talent, ses qualités d’écriture en se mettant en avant tout en critiquant ou en rabaissant le travail de ses adversaires. Mais les rappeurs de INI le font sans mépris. Dans l’optique de s’élever (« So now you know there’s no need to stop elevating » dans Step Up), de manière constructive en se focalisant sur les connaissances et la sagesse (Penetrating the glass top). Avec un texte en français sur What you say, il souligne l’importance des mots, de leur puissance et des conséquences qu’ils peuvent entraîner (Think Twice). Malheureusement, même une personne aussi importante que le président des États-Unis, l’homme qui tweete plus vite que son ombre, ne fait pas attention à ce qu’il dit ou écrit, ses directeurs de communication s’en arrachent les cheveux.
Pour Grown man sport, il choisit de reprendre le début du solo de synthé du morceau de Fela et en fait ressortir toute la quintessence funk. Tout en l’orientant vers le reggae (« Natty dread like Bob so rock steady) pour ainsi mettre en avant les références au rastafarisme et à l’empereur d’Éthiopie, Hailé Sélassié.
Le titre samplé : FELA – Water Get No Enemy
Water get no enemy est extrait de Expensive Shit. Le titre de l’album fait référence à un épisode de sa vie brièvement mentionné sur la pochette ci-dessus. Surpris en train d’avaler un joint, il est mis en détention en attendant qu’il produise les excréments censés l’inculper. Il a heureusement pu se sortir de cette mauvaise situation en les échangeant avec son compagnon de cellule.
L’envoûtement fait son effet dès les premières secondes de ce titre au moyen de la section de cuivre et le dialogue passionnant entre Fela et les autres saxophones et au rythme à la fois apaisant et entraînant du batteur Tony Allen sans qui, selon le premier, il n’y aurait pas d’Afrobeat. Si fluide mais si complexe à la fois, les multiples origines et influences de cette musique empruntent à la fois au Jazz, au Funk, au Highlife.
La musique de Fela a un retentissement national en contribuant à fédérer le peuple nigérian, continental en permettant à l’Afrique d’être au centre de l’attention, de toutes les attentions et aussi internationale puisqu’elle a influencé des musiciens à travers le monde. Écoutez une fois Fela et tout le centre de gravité musical se trouve bouleversé, déplacé des Etats-Unis à l’Afrique. C’est un changement de paradigme salvateur pour se défaire du conformisme et de l’universalité imposés par les médias commerciaux.
Une fois cette boîte de Pandore ouverte, tout un univers s’offre à vous : le high life des ghanéens Ebo Taylor et Pat Thomas, l’éthio-jazz de Mulatu Astatke, le saxophone d’Orlando Julius, le clavier du mystérieux William Onyeabor, la sanza de Francis Bebey…Les beatmakers ne se sont pas fait prier pour puiser allègrement dans ces trésors africains.
Au delà de l’impact de l’Afrobeat sur l’évolution de la musique, l’aura et les textes du nigérian sont un modèle pour la cause noire, la lutte contre l’oppression, les violences policières. Et particulièrement ce titre dans lequel le musicien militant utilise la symbolique de l’eau pour exprimer toute la force de sa détermination et de son combat. L’eau est vitale, essentielle mais elle est également extrêmement puissante. Si bien que personne ne peut s’y opposer. Sa mère a été tuée par des soldats, lui même a été persécuté, battu, arrêté plus de 20 fois par le régime en place. Malgré tout, comme l’eau, le combat (poing levé) et la musique de Fela court toujours, n’a jamais cessé de résonner et continuera de résonner pendant encore des décennies et des décennies.
I say water no get enemy
If you fight am, unless you wan die
Omi o l’ota o
I dey talk of Black man power
I dey talk of Black power, I say
I say water no get enemy