Be Kind Rewind – Best Of Premier Semestre 2020
Best Of Premier Semestre 2020
Retour sur les six premiers mois de l’année 2020 qui se sont écoulés. Même si ces derniers mois le monde de la musique a subi une hécatombe attristante (morts entre autres de Manu Dibango, Bill Withers, Betty Wright, Lucky Peterson, John Prine, Ellis Marsalis, Lee Konitz, Florian Schneider (Kratwerk), Little Richard…), nous ne transformerons pas ces pages en une interminable rubrique nécrologique. Nous allons nous centrer sur les coups de cœurs de ce début d’année.
Waxahatchee – Saint-Cloud
Oxbow (Méandre), Barna (Barcelone) in white. Ainsi commence Saint-Cloud. Ainsi commence la nouvelle vie de Katie Crutchfield, ce soir du Primavera Festival où elle décide d’arrêter l’alcool. Comme une évidence pour elle, Saint-Cloud, son cinquième LP devait commencer par cette chanson qui résume si bien l’esprit de cet opus : son combat intérieur (I’m in a war with myself clame-t-elle dans War) vers la sobriété.
De Can’t Do Much à War, Waxahatchee réussit une série de titres d’une intensité constante, d’une énergie débordante et communicative preuve que son salut s’exprime de manière dynamique. 7 titres dans lesquels elle décortique le processus de rédemption, étale ses atermoiements, s’inflige un niveau élevé d’estime de soi (If I could love you unconditionally, I could iron out the edges of the darkest skies – Fire ou encore la répétition de « It Ain’t Enough » dans Fire).
La leader trouve son inspiration dans des lillas (Lilacs) posées sur son piano, l’incitant à s’interroger sur le temps qui passe (And the lilacs drank the water, marking the slow, slow / Slow passing of time – Lilacs). Elle s’appuie sur le regard de l’autre (The Eye) peut-être Kevin Morby (Minute potin : Katie Crutchfield est en couple avec le musicien/chanteur) et peut compter sur ses amies fidèles : Allison sa sœur, Linday Jordan du groupe Snail Mail et Marlee Grace les trois protagonistes de Witches.
La plume de l’auteur percutante est ponctuée de phrases mémorables : We are enthralled by the calling of the eye (Nous sommes fascinés par l’appel de l’oeil) – The Eye, And I hover above like a deity/But you don’t worship me (Je plane comme une divinité mais tu ne me vénères pas) – Hell.
Elle s’en est sortie, elle est pleinement consciente de cette chance sans oublier ces proches qui ont beaucoup plus souffert (Arkadelphia) ou qui ont fini en overdose (Ruby Falls) sur une fin d’album plus sombre et émouvante où l’esprit sudiste revient hanter la chanteuse. Saint-Cloud est un patelin dans la banlieue d’Orlando où habite son père.
Saint-Cloud est portée par la performance de Katie Crutchfield. Elle délivre une interprétation convaincante, fougueuse qui interpelle et provoque une allégresse salvatrice. Les harmonies inspirées de guitares (Can’t Do Much, The Eye ou encore Hell) sont le contre-poids idéal de la voix de la chanteuse avec un savant dosage entre guitares sèches/électriques, rythmique/mélodique pour donner une nuance plus country/folk que les précédents albums du groupe. La batterie joue, quant à elle, bien son rôle de ponctuation ou de liaison/rupture selon le contexte à l’instar de l’alternance Cross-stick sur les couplets et caisse claire classique sur les refrains de Lilacs.
Avec Saint-Cloud, Waxahatchee a trouvé la formule qui fait mouche, la formule secrète du style qui se réflète…
R.A The Rugged Man – All My Heroes Are Dead
Avec une vision juste et un style acerbe, R.A Thorburn dénonce, sans retenue ni fausse pudeur, les dysfonctionnements de la société. Sur Wondering, basé sur des faits réels, il se penche sur l’abandon des adolescents confrontés au harcèlement, viols, overdoses. Il revient sur le sujet épineux du libre accès des armes à feu et des conséquences catastrophiques des fusillades de masse qui ont secoué les Etats-Unis ces dernières années. Ainsi, dans Angelic Boy, il se met dans la tête d’un gosse de 15 ans, auteur d’une fusillade en pointant la responsabilité des médias qui érigent ces auteurs en icône fascinante. Accompagné d’Inspectah Deck il revient sur la gestion malsaine de la ville de New York des années 80 par le maire Ed Koch. Durant son mandat le taux de criminalité, la drogue et les tensions raciales ont atteint des records (E.K.NY – Ed Koch New York). Il s’en prend aux élites dirigeantes dans Who Do We Trust et fustige l’argent-roi qui pousse l’industrie pharmaceutique à créer des maladies pour vendre leurs médicaments et Monsanto à nous empoisonner (Malice Of Mammon).
En résumé, comme il le dit si bien dans Contra-dictionary, le monde dans lequel nous vivons marche sur la tête :
The bad guys are police
The least known is the beast
The pervert is the priest
Those workin’ with children, givin’ community lectures
End up bein’ the world’s biggest kiddie porn collectors
You look for braindead celebrities to be your leaders
And look down to real people, mechanics, doctors and schoolteachers
Avec All My Heroes Are Dead, on s’attache au rappeur et ses multiples facettes. On se délecte de son humour teinté d’une bonne dose d’auto-dérision jouant sur sa mauvaise réputation dans Legendary Loser. De plus, c’est un gros cinéphile mais du cinéma de genre, des films de série Z, films d’horreur, gore et AMHAD est truffé de références cinématographiques. Cette culture décalée explique en partie son attitude et ses tiques qui lui font ressembler à un maniaco,schizo, psychopathe. Même si l’on sent bien qu’il entretient l’ambiguïté sur son personnage et que l’on ne distingue pas le vrai du faux. Tant mieux. Est-il vraiment obscène ? Obsédé oui à en croire l’hilarant The Big Snatch qui relate son expérience avec un vagin géant… Est-il un modèle pour ses enfants? Il s’y attache, malgré le fossé des générations (I’m raised on X Clan, Brand Nubian and Chuck D/She was raised on Imagine Dragons and Arctic Monkey – Golden Ladies) qui le sépare de sa fille, il lui il consacre un très beau titre First Born dans lequel il lui avoue tout son amour.
All My Heroes Are Dead est un album d’une densité extrême avec une diversité de productions. On remerciera les producteurs Mister Green, The Kickdrums, PsychoLes, Prince Paul etc… d’avoir mis le rappeur en orbite et d’avoir su saisir toutes ses nuances. C’est un artifice de flow et la technique de R.A The Rugged Man est impressionnante spécialement sur Gotta Be Dope, un des titres phares de l’album. Sur morceau il forme un duo de MCs avec A-F-R-O qui atteint des sommets de rapidité très rarement égalés. Cette joute verbale amicale est digne des duels de boxes historiques tels que celui de Rocky opposé à Apollo Creed cité dans le morceau. Il n’hésite pas à rendre hommage à ses pairs dans ses textes mais aussi en les invitant sur l’album. L’esprit Wu-Tang est présent dans Dragon Fire avec deux des membres du célèbre Crew : Ghostface Killah, Masta Killa plus le légendaire Kool G Rap. Dans The Slayers Club, le rappeur réussit l’exploit de réunir le gratin du rap ou plutôt de sortir de la naphtaline des groupes ou rappeurs issus de l’age d’or du Hip Hop désormais dissouts ou inactifs : M.O.P, Brand Nubian, Ice-T cotoient Vinnie Paz et Chris Rivers.
Non tous ses héros ne sont pas morts, ils sont bel et bien vivant et accompagnent R.A The Rugged Man pour un LP dont on a pas fini d’explorer toutes les richesses et qui figure dores et déjà dans les meilleurs albums de 2020.
Les Hurlements d’Léo – Mondial Stéréo
Né d’un formidable travail d’ateliers d’écritures et de temps d’échange en milieu scolaire ainsi que de témoignages de demandeurs d’asile que le groupe a rencontré, Mondial Stéréo est d’abord un conte sur l’exile dont 1€ par livre sera reversé à l’association SOS Méditerranée qui a sauvé plus de 30 000 personnes. Puis c’est naturellement devenu un album avec à la barre le chanteur du groupe Laurent Kebous ainsi que Tomas Jimenez (El Comunero).
Les Hurlements d’Léo, tel Noé et son célèbre arche, embarquent sur leur nef un kaleïdoscope d’artistes alternatifs, humanistes embrassant la cause mondialiste : Féloche, Aldebert, Les Ogres de Barback, Florent Vintrigner (La Rue Kétanou), Balik et Natty Jean du groupe Danakil. La frégate porte multiples pavillons : Lidiop représente le Sénégal, La Cie Mohein apporte une touche tizgane sur l’émouvant Papa à la fois lyrique et ondoyant, le levante souffle par le biais d’El Comunero, Duende et Sergent Garcia. Tandis que la Bénino-Congolaise Perrine Fifadji illumine l’opus de toute sa grâce. Mention spéciale pour Eskelina, la belle découverte. Sa voix nous fait vibrer sur le sensible Dans nos rêves. Son nouvel album, que vous pouvez financer, sortira d’ici la fin d’année.
Ensemble ils relatent l’histoire du petit Léo et de sa troupe (sa mère Mamaïla, son amour Calypso et ses deux amis Sly & Robbie) qui grâce à sa guitare, offert par ses parents, surmonte les atrocités de son quotidien de pays en guerre. Son instrument est une aide précieuse dans sa fuite vers l’Europe. Ils se font ainsi le porte-voix des Sans Visage(s), des migrants fuyant la guerre et la mort pour une France de moins en moins pays des Droits de l’Homme. Une France où la devise célèbre Liberté, Égalité, Fraternité perd peu à peu de son sens (Huriya). Ces hommes, femmes et enfants tiraillés entre l’envie d’un ailleurs meilleur et la tristesse de quitter leur pays, leurs racines (On Met Les Voiles).
Mondial Stéréo nous plonge dans un océan d’espoir grâce à la musique. On chavire grâce à la mobilisation de son équipage qui diffuse un reggae cosmopolite et bienfaisant.
Best Of 1er Semestre – La playlist
Sans plus attendre, voici une playlist de 25 titres résumant ce 1er semestre 2020 : hommage aux disparus, une tendance Feel Good : Afrobeat, Disco, Funk, Reggae, Rap… Des reprises, des remixes (enfin 1).
Enjoy